Responsable CX : superhéros trop visible ou ange gardien discret ?

L’expérience client (CX pour Customer eXperience) est un sujet à la mode depuis au moins le début des années 2010. Certains diront que le sujet a toujours été important. C’est vrai. Mais si nous prenions le temps d’analyser les organigrammes des grandes sociétés françaises sur vingt ans, nous verrions le poste de « responsable de l’expérience client » apparaître puis gravir les échelons hiérarchiques pour se rapprocher de la direction générale, jusqu’à parfois entrer dans le Comité Exécutif, cette garde rapprochée du dirigeant.
Dans l’ensemble, c’est une bonne chose. Porter haut la voix du client et garder en tête ses besoins est une excellente pratique. Les organisations qui oublient qui les fait vivre prennent un risque existentiel. Mais se pourrait-il que l’expérience client devienne trop visible ?
« Qu’est-ce qu’une bonne expérience avec le support client d’un e-commerçant ? ». Ce fut la question posée en avril 2022 dans les bureaux d’un spécialiste du service client à un panel de responsables de départements de supports aux clients. Avec un élément de complexité cependant : ils n’avaient le droit qu’à trois mots. Les réponses furent synonymes sur la forme, mais homonymes sur le fond. Qu’ils représentent un e-commerçant, une marque grand public ou un distributeur physique, chacun répondit : « réactivité, empathie et efficience ».
Trois substantifs louables et justes. Les superhéros Marvel de la Justice League pourraient probablement les faire leur. Mais j’aurais préféré invisibilité, prévention et solution ; une maxime plus proche de The Adjustment Bureau de Philip K. Dick. Cela peut paraître moins humain et moins politiquement correct. Mais qui a vraiment envie d’avoir affaire au service client ? Le meilleur n’est-il pas celui qu’on ne contacte jamais ? J’ai eu l’occasion de contribuer à l’amélioration de l’expérience client dans l’univers des paiements. C’est un secteur qui est en fait un utility au même titre que l’électricité, le gaz, l’eau courante ou le wifi : on lui demande surtout de se faire oublier.
Lorsque nous souhaitons payer, nous voulons que cela fonctionne à chaque fois et en une fraction de seconde. Contacter le service support au sujet d’un paiement est déjà un aveu d’échec. Evidemment, s’il faut vraiment en arriver là, c’est mieux s’il est réactif, empathique et efficient. Mais nous aurions préféré qu’il prévienne le problème, lui ait trouvé une solution dans le passé et soit donc aujourd’hui… un ange gardien discret.
Faut-il donc que votre collègue (ou vous-même si vous êtes responsable « CX ») s’abstienne de venir vous parler à la machine à café pour se faire oublier ? Evidemment non ! Il s’agit plutôt de s’intéresser aux contacts entre service client et clients avec ce prisme : et s’ils ne voulaient en fait pas nous parler ? et si nous les contactions en fait trop ?

Prenons un exemple. J’ai reçu la veille de cet événement un courriel de la part de La Poste : « Nous rencontrons un problème concernant la livraison de votre Colissimo ». Ce qui peut paraître louable de leur part (me prévenir) est en fait anxiogène à double titre : je ne sais pas de quoi ils parlent et cela me crée du travail. D’abord, je ne suis pas sûr de savoir à quel colis ils font référence. J’ai plusieurs envois en cours et je sais rarement qui est le livreur. D’ailleurs je m’en moque. Je veux juste recevoir le colis, qu’importe qui le livre. Ensuite, s’ils me contactent, c’est probablement qu’ils ont besoin d’une action de ma part. Sinon, pourquoi le feraient-ils ?
Les choses ont empiré lorsque j’ai regardé le message et cliqué sur les liens qui proposent des détails. Colissimo prenait le temps de forger volontairement une image d’incompétence et annonçait fièrement : « une erreur s’est produite dans l’acheminement de votre colis. Nous mettons tout en œuvre pour qu’il reprenne son parcours ». Bref : non contents de s’être trompés, ils prennent sur mon temps pour me l’annoncer fièrement. Et l’information est inutile. Je ne sais ni où est mon colis, ni comment il sera livré, ni ce qu’il faut faire.
Les détails suggèrent qu’il s’agit d’un colis de livres commandés pour mes équipes auprès d’un libraire de quartier. On doit me livrer à nos bureaux bordelais, la date m’importe peu. Je veux tout simplement que mon colis arrive sans que l’on m’en parle. Je ne me souviens pas qu’Amazon m’ait jamais contacté pour me dire qu’ils sont en retard. Ils livrent en silence. C’est tout. Et si par hasard ils sont en retard, ils livrent le lendemain. Et sauf à avoir commandé au dernier moment pour un événement important, vous ne le savez jamais et peu vous importe. Il arrive que l’on soit pressé et que la date de livraison exacte compte, mais c’est rare.
Est-ce un cas isolé sur lequel je porte trop d’attention ? Peut-être pas. Quelques semaines avant, le même Colissimo m’avait envoyé le message suivant pour une autre commande : « Votre colis ne peut être livré ce jour en raison d’une situation exceptionnelle indépendante de notre volonté. Il sera mis en livraison dans les prochains jours. » L’image d’incompétence projetée se double alors d’un ridicule presque comique. Quel événement exceptionnel a-t-il donc bien pu se produire en banlieue parisienne en ce beau samedi ensoleillé du 12 mars 2022 ? Une fois encore, j’aurais préféré être livré quelques jours après sans jamais en entendre parler.
Et vous, qu’en est-il pour vos activités ? Votre service est-il de ceux dont les clients souhaitent entendre parler (il y en a !) ou un utility dont l’objectif est de se fondre dans le paysage pour se faire oublier. Si vous êtes dans le second cas, un bon service client doit-il être un superhéros bruyant en costume multicolore ou doit-il être un ange gardien invisible qui veille sur ses clients sans jamais qu’ils s’en rendent compte ?
Pendant que vous réfléchissez à cette question, prenez le temps de regarder à quelle fréquence vos équipes support contactent vos clients et d’analyser l’image qu’ils projettent de votre organisation. Il se pourrait qu’ils en fassent… trop.
Et merci quand même à Colissimo de livrer efficacement sans jamais rien perdre et rien abîmer ! Le service de fond est en fait excellent ; bravo !
Note : pour une réflexion de fond sur l’expérience client, pensez à lire L’obsession du service client de Jonathan Lefèvre et Transformer le pépin en pépite de l’Amarc. Ce sont deux lectures passionnantes et divertissantes qui vous donneront quelques clés pour une somme modique. Ces deux titres sont évidemment validés par la Sélection Curatus.